#34 — Facebook, fin de partie ?
#34
Dans ce numéro :
→ Le dernier crime de Facebook
→ Une décennie de scandales
→ Et maintenant que faire ?
→ En bref
J'avais décidé — tant bien que mal, avouons-le — de ne plus parler des réseaux sociaux dans cette newsletter pendant quelques semaines, et principalement de Facebook. Par lassitude, par agacement, je ne sais... Certainement un peu des deux. Oui mais voilà, le géant des réseaux sociaux a pour sale habitude de se retrouver sous les feux des projecteurs, en bien et plutôt en mal, avec deux nouvelles affaires qui pourraient très bien sceller son avenir dans les mois à venir, dans le cadre des poursuites anti-trust engagées. Mercredi dernier, Facebook a bloqué les médias et les comptes officiels australiens en les empêchant de partager des informations sur la plate-forme, se posant en censeur arbitraire. L'entreprise californienne réagissait à une loi en discussion au parlement australien, obligeant les plates-formes à négocier avec les groupes de presse pour rémunérer le partage des contenus.
Jeudi, des documents rendus publics, sur ordre d'un juge californien, ont révélé que Facebook avait fraudé ses annonceurs, pendant des années, avec la bénédiction et la complicité de Sheryl Sandberg, la directrice des opérations de Facebook et accessoirement membre du Conseil d'Administration.
Ces deux affaires n'ont apparemment rien en commun, mais elles sont profondément liées car elles montrent qu'en abusant de sa position dominante, Facebook a adopté et appliqué un comportement mafieux, au fin des années.
Alors la révélation en Californie sonne-t-elle le glas du géant américain ? Toujours est-il que pour nombre de spécialistes, le département de la justice doit enquêter sur les agissements de Sheryl Sandberg et voir s'il existe des ramifications et des complicités internes.
Bonne lecture !
-- Dominique
Seitu Ken Jones, 2020
Le dernier crime de Facebook
Jeudi soir, un juge a autorisé la publication de documents légaux montrant que Facebook s'est livré à une fraude contre les annonceurs. L'entreprise déclarait aux annonceurs que ses publicités touchaient beaucoup plus de personnes qu'elles ne le faisaient réellement, incitant les acheteurs à dépenser plus d'argent en publicités, qu'ils ne l'auraient fait autrement. Les documents ont révélé que Sheryl Sandberg, la directrice des opérations de Facebook, a directement supervisé la fraude présumée pendant des années.
Le stratagème était simple. Facebook trompait les annonceurs en prétendant que leurs cibles publicitaires représentaient de vraies personnes. En effet, les acheteurs ciblent en fonction de plusieurs paramètres, là où ils pensent que se trouvent leurs clients. D'anciens employés ont fait remarquer que la société ne se souciait guère de l'exactitude des chiffres tant que l'argent issu de la publicité rentrait.
Les statistiques gonflées conduisaient parfois à des résultats farfelus. Par exemple, Facebook indiquait aux annonceurs que ses services avaient une portée potentielle de 100 millions de personnes âgées de 18 à 34 ans aux États-Unis, alors qu'il n'y a que 76 millions de personnes dans ce groupe démographique. Certains employés ont proposé un correctif pour communiquer les vrais chiffres mais la firme a rejeté l'idée, notant que "l'impact sur les revenus" serait "significatif".
Selon ces mêmes documents, Sandberg aurait activement supervisé ces fraudes et Facebook se bat maintenant contre le fait qu'elle soit interrogée par des avocats, dans le cadre d'un recours collectif alléguant la fraude.
Une décennie de scandales
Pour les néophytes, les Lois Anti-trust peuvent être difficiles à appréhender, mais les actions menées dans ce cadre sont assez simple. In fine, dans le cas présent, il s'agit de poursuivre une entreprise pour vol. Facebook aura toujours beau jouer la carte de la victime harcelée par les méchants gouvernements, il n'en reste pas moins que ce n'est pas la première fois que l'entreprise est prise le doigt du pot de confiture. C'est même la troisième fois.
La première fois se passa en 2018, au moment où Zuckerberg annonçait que la vidéo était désormais un enjeu stratégique pour le réseau social. En octobre de cette année, des documents internes révélèrent qu'il avait menti aux annonceurs au sujet des métriques vidéo en gonflant artificiellement le nombre de vues. Cela avait provoqué l'ire des annonceurs qui avaient entamé des poursuites contre Facebook. Une médiation eut lieu par laquelle Facebook paya les annonceurs pour arrêter les poursuites. La deuxième fois eut lieu à la fin de l'année dernière. Il déclara aux annonceurs qu'il avait surestimé les performances de leurs campagnes publicitaires. Le souci est qu'il garda sous le coude cette information pendant deux mois et remboursa les victimes avec... des coupons.
N'oublions pas au passage l'affaire Cambridge Analytica où Facebook dut payer une amende de 5 milliards de dollars à la FTC pour avoir violé les données de ses utilisateur.ice.s. En 2011, déjà la firme avait été épinglée à ce sujet par la FTC et il en avait résulté un accord de principe. Accord violé en 2018, donc. Et il est probable qu'il le soit encore en 2021 puisque le Département des services financiers de New York vient de demander des éclaircissements à la société pour avoir "collecté des données non autorisées sur les conditions médicales, les pratiques religieuses et les finances des gens" et pour les avoir ensuite utilisées dans le cadre de son programme publicitaire.
Et maintenant, que faire ?
Il est temps de sortir de l'impunité. Payer des amendes ne suffit plus. Aujourd'hui, certains dirigeant.e.s de Facebook doivent être poursuivi.e.s et s'iels sont reconnu.e.s coupables de passer par la case prison. Cette entreprise récidive et si rien n'est fait pour l'arrêter, elle continuera. Avec l'affaire australienne, elle démontre qu'elle n'a cure des lois, des États et de ses gouvernements démocratiquement élus.
Ici, la question est simple : quand est-ce que cette impunité cessera ? Si ces entreprises continuent à violer en toute impunité les lois et à voler les personnes... En résumé, à commettre des crimes, elles se transformeront en véritables chefs de guerre, comme on vient de le voir en Australie. De par sa puissance et son comportement, Facebook (et Google) distille désormais un sentiment de peur chez les éditeurs, comme le démontre l'enquête de Digiday : "Google et Facebook ont un tel pouvoir que j'ai peur des répercussions, alors nous fermons les yeux et continuons à jouer avec eux".
Le mouvement anti-trust aux États-Unis et la volonté des deux commissaires européens Thierry Breton et Margrethe Vestager de mettre au pas les GAFAM sont des réponses nécessaires à cette emprise malsaine. Quand les Etats haussent le ton, la peur change de camp tout en dévoilant une autre facette de ces entreprises. Avec la publication des documents légaux en Californie montrant qu'il ne s'agit pas des erreurs de l'algorithme mais d'une véritable système mis en place sciemment et encouragé, une oligarque pourrait être enfin confrontée à la loi et en subir les conséquences. Il ne faudrait pas qu'elle soit la seule victime expiatoire.
En bref
→ Le plan de Bill Gates pour sauver le climat
→ Every Noise at Once, la plus grande carte musicale au monde
→ Le capitalisme, c'est fini... si vous le voulez