#16 Souveraineté numérique, dégafamisation et alternumérisme
#16
Dans ce numéro :
→ Souveraineté numérique : l'exemple de l'Inde.
→ Taxation des GAFAM : où en est-on ?
→ Contre l'alternumérisme
→ En bref
Je suis en voie de dégafamisation. Le processus est long et pas si évident que cela à mettre en place, tant il demande un reengineering mental important. J'ai grandi numériquement avec Apple, Microsoft et Google. Mon premier ordinateur fut un Apple 2E, j'ai rentré mes premières lignes de commande sous Dos et j'ai vu naître Google, alors qu'AltaVista était alors le moteur de recherche incontesté. En tant que pionnière du web, j'ai vu naître toutes ces plateformes et ai pu observer leur montée en puissance. Au début, comme toute bonne technophile, j'étais plutôt enthousiaste et pensais naïvement que la Tech is Good et que oui, un monde meilleur était possible, grâce au numérique.
Enthousiasme qui s'est effiloché au fil du temps, pour parvenir à une technocritique de mes usages tout d'abord puis à une conscientisation politique plus globale de la question. J'ai tout d'abord refusé de remplacer mes outils numériques, quels qu'ils soient, en achetant de nouveaux. Je cherche à les réparer. Du coup, comme c'est quasiment impossible avec les smartphones big machin (Apple, Samsung and co), je suis devenue l'heureuse locataire d'un Fairphone. Mon ordinateur, je ne l'ai pas changé depuis plus de 6 ans, et il tient largement la route pour mes usages personnels. Et si je dois remplacer absolument un appareil électronique, je l'achète d'occasion. Enfin, je refuse de participer au capitalisme linguistique donc exit tout ce qui est assistant vocal.
Ensuite, je me suis attaquée à mes usages d'Internet. Longtemps j'ai utilisé Gmail, exit et vive Protonmail. Longtemps, le moteur de recherche de Google fut l'alpha et l'oméga de ma veille, désormais je couple Qwant et DuckDuckGo pour un résultat identique. Longtemps Chrome fut mon navigateur, je suis revenue à Firefox et utilise Brave de temps à autres. Pour l'analyse statistique de mes blogs, Matomo est une excellente alternative, voire nettement meilleure, à Google Analytics. Ajoutons que j'ai jeté Amazon aux orties et passe désormais mes commandes culturels sur l'excellent Place des Libraires. Essayez, c'est toujours plus agréable de discuter avec un.e libraire en chair et en os qu'avec l'interface d'un Amazon Locker.
La dernière étape de ma dégafamisation sera de partir de Facebook (et de Twitter). Mais je l'avoue, j'ai du mal à en sortir. Economie de l'attention quand tu nous tiens...
La sobriété numérique et responsable commence toujours par soi et même si la crise sanitaire pourrait nous faire croire le contraire, des usages alternatifs à l'utilisation massif de Zoom sont nés durant cette période, avec un souci d'économie de la bande passante, énergivore au possible. Cette même crise a montré aussi un autre problème concomitant : la souveraineté numérique française n'existe pas, nous sommes dépendants des GAFAM. Il est donc temps de dégafamiser l'Etat et réfléchir sérieusement à ça : il n'y a pas que la Silicon Valley dans la vie numérique, l'Inde le prouve à chaque fois qu'il en a l'occasion.
Bonne lecture !
-- Dominique
Souveraineté numérique : l'exemple de l'Inde
Nos imaginaires numériques sont actuellement vampirisés par les visions technologiques de deux pays : les Etats-Unis et la Chine. A première vue, il semblerait qu'une voie intermédiaire soit devenue quasi-impossible tant la puissance économique de ces deux mastodontes semble écraser tout le monde. L'Europe tente désespérément d'y faire face mais quand les acteurs privés et publics s'appuient sur les infrastructures des géants américains pour proposer leur propre service de cloud, alors que les alternatives européennes existent, on est en droit de se poser quelques questions quant au combat mené par les Européens.
Pourtant, il n'est pas vain. L'UE a prouvé maintes fois qu'elle était capable d'imposer sa volonté politique aux GAFAM. Le RGPD en est, par exemple, la preuve éclatante. Et la France dans tout ça ? Entre sa volonté de taxer les géants américains et chinois (lire ci-dessous) et de ne pas faire appel à l'API développée conjointement par Apple et Google pour développer son app de traçage numérique, elle n'en est pas pour autant exemplaire. L'Etat aime beaucoup Microsoft, notamment l'Education Nationale.
Bref, on se soucie de nous autres utilisateur.ices d'Internet, selon l'humeur du moment. Mais alors que dire des autres internautes de par le monde ? Qui se soucie des Argentin.e.s, des Cambodgien.ne.s ou des Marocain.e.s ? A croire que pour eux et elles, le combat est perdu d'avance. Ils sont exclus d'office de nos imaginaires numériques. Un pays comme Israël aurait pu y parvenir au début des années 2000 avec comme fer de lance ICQ. et la France aussi avec Deezer et surtout Dailymotion. En revanche, personne ne pense à l'Inde. Pourtant, il est le deuxième pays avec le plus d'internautes au monde (plus de 450 millions), juste derrière la Chine et bien loin devant les Etats-Unis. Et face à ces géants, il n'hésite pas à user du bâton pour les mettre au pas. En clair, le message est limpide : lorsque vous demande de faire des modifications, vpus les faites sinon vous êtes virés. C'est arrivé dernièrement à TikTok, l'app chinoise de micro-vidéos, qui a été banni purement et simplement du marché indien et à WeChat. Facebook et WhatsApp ont été contraints aussi de filer doux après avoir momentanément été suspendus.
J'aurais pu prendre l'exemple d'autres pays qui ont choisi d'avoir une politique de souveraineté numérique forte, je pense notamment à l'Estonie, qui a réussi sa mue numérique. Alors, comme le dit si bien Tarik Krim dans son excellente tribune : Mettre en œuvre une transition numérique soutenable et éthique qui combine transition numérique et transition écologique. La France doit aussi bâtir des services publics numériques exemplaires à l'échelle internationale. Si l'Estonie est connue pour avoir été l'un de premiers pays à avoir numérisé ses services publics, la France doit devenir le premier État à mettre en avant des services numériques qui associent minimisation de l'usage des données, hébergement localisé en France, usage des technologies du Web ouvert et des logiciels libres.
Taxation des GAFAM : où en est-on ?
L'OCDE avait entamé les négociations sur une Taxe GAFAM avec l'ensemble de ses pays membres. Huit très longues années pendant lesquelles l'OCDE n'a pas ménagé sa peine à faire concilier les visions de Donald Trump, Emmanuel Macron, Boris Johnson ou encore Xi Jinping. Le 9 octobre dernier, l'organisme avait dévoilé les contours de cette réforme fiscale, la plus importante jamais négociée jusqu'alors. Au cours de ces années plusieurs points de blocage avaient été petit à petit levés dont un gros : les Etats-Unis avaient reconnu de nouveaux droits à taxer hors de leurs frontières. Fort de ce point et selon le projet, les grandes entreprises ne payeraient plus seulement leurs impôts au siège du groupe, mais aussi dans les pays où les biens sont exportés et vendus et où les bénéfices sont générés. Un taux minimal d'imposition aurait été aussi acté. La feuille de route était ensuite limpide : le projet devait être validé lors du G20 (ce qui fut fait le 18 octobre) et ensuite être porté auprès des 134 membres pour être débattu et adapté.
Tout donc se déroulait pratiquement comme prévu. On a vite oublié, en début d'année, l'accroc entre les Etats-Unis et la France, cette dernière rétropédalant à vitesse grand V sur sa propre taxe. Un consensus semblait se dégager, même si des économistes comme Thomas Piketty ou Joseph Stiegler, jugent la taxe peu contraignante.
Mais le 16 juin, coup de théâtre, les Etats-Unis se retirent du jeu, constatant que les négociations sont dans l'impasse. Est-ce à nouveau un coup de pression sur l'Europe qui était, à trois voix près, en train de se mettre d'accord sur une taxation ou bien un revirement total ? Il faudra attendre quelques semaines pour être fixé.
Cependant, est-ce la mort de la taxe GAFAM ? Non, car aujourd'hui une quarantaine de pays l'ont adopté ou sont sur le point de le faire, comme le montre la carte ci-dessous.
Contre l'alternumérisme
Définissons déjà ce qu'est l'alternumérisme. C'est la possibilité d'un numérique plus juste, plus inclusif, plus démocratique, éco-responsable, plus éthique, plus solidaire, plus plus. Derrière cette définition, on y trouve pêle-mêle le logiciel libre, les ateliers de détox digital, la démocratie en ligne, les smartphones équitables, la neutralité du net, l'inclusion numérique, la lutte contre l'économie de l'attention, etc. Que des combats, qui à première vue, semblent juste à mener.
Pour autant, certain.e.s se positionnent contre l'alternumérisme. Dans un monde hyperconnecté, cette radicalité a de quoi interrogé. Et elle a son manifeste qui a été détaillé dans un essai, Contre l'alternumérisme, co-écrit par Julia Laïnae et Nicolas Alep.
Dans l'excellente critique de Hubert Guillaud dans InternetActu à propos de ce livre, cette citation m'a suffisamment interpellée pour que j'aille fouiller dans les Internet :
"Dans ce petit livre, les auteurs qui s’opposent à toute forme d’informatisation du monde cherchent à expliquer pourquoi ils ne rejoignent pas ceux qui espèrent un « autre numérique ». Pour eux, nous devons nous « montrer lucide sur ce que la numérisation a déjà occasionné comme régressions, pour permettre de bien faire comprendre en quoi les propositions alternuméristes peuvent être source d’illusions ». Ils soulignent, à la suite d’une longue littérature critique, combien la numérisation du monde a renforcé le pouvoir des entreprises, la centralisation et la concentration du pouvoir social [...] ont aggravé l’exploitation du travail et les discriminations à l’égard des plus démunis."
En conclusion, les deux auteurs estiment que la seule solution aujourd'hui est de se déconnecter, de se décabler... de se libérer du numérique pour revenir à des choses plus simples et plus authentiques. Aujourd'hui, ce type de discours est-il audible ? A l'heure où le mot décroissance véhicule une image négative, ce manifeste a au moins le mérite d'interpeller, car le constat est vrai : nous sommes psychologiquement dépendant du numérique. Pour preuve, le confinement n'a fait que révéler et aggraver cette dépendance. Pour autant, leur aveu final est une capitulation et d'un point de vue stricto politique, une incitation à ne rien faire, à ne pas bouger et à regarder le monde s'effondrer sur lui-même.
En bref
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